Texte. Map Crac

Lauréate du prix « jeune public » du Crac 2018, Alexia Chevrollier expose du 12 novembre au 14 décembre 2019 à la Maison des arts plastiques. Entretien avec l’artiste pour se laisser séduire par sa proposition « A force égale ».


Vous avez reçu le prix « jeune public » du Crac 2018, comment avez-vous réagi ?

Alexia Chevrollier : Lorsque la MAP m’a appelé, j’ai été surprise... Etre lauréate du prix « jeune public », c’était le plus beau des cadeaux. D’autant que je ne m’y attendais pas, parce qu’il y avait des œuvres aux formes plus ludiques. Avec ce verre coulé sur gabarit, que j’ai nommé Entropie, les enfants ont été sensibles à la matière incolore de l’œuvre sur laquelle aucun mot n’avait été apposé. Ils n’ont pas cherché à coller une image, ils ont juste été sensibles à ce qu’ils regardaient, sans idée préconçue. Peut-être parce que tout se lie ! Les jeunes savent encore sortir des codes du langage et se saisir de leurs émotions... sans filtre.


L’art doit-il s’adresser à tous ?

AC : Je viens de la campagne où l’accès à la culture n’était pas une évidence. Je suis très sensible à permettre cette rencontre dès le plus jeune âge. Car tout enfant confronté à l’art sera un adolescent qui n’aura pas peur d’aller voir une expo, d’entrer dans un musée. Je crois beaucoup à la transmission ! Cette biennale de Champigny permet cet accès avec des visites guidées, des ateliers pour enfants. C’est une chance et suis d’autant plus fière d’en être lauréate.


Au regard de votre travail, comment vous définiriez-vous ?

AC : Je n’aime pas me définir comme une artiste plasticienne, mais plutôt comme une metteuse en scène de matières, une artiste de l’alchimie, ou une alchimiste des matières. Je ne travaille ni sur un médium ni à partir d’une seule technique : je mélange, je cuisine. Par exemple, mon travail sur la rouille. En général, on ne la fabrique pas, on veut plutôt la stopper. J’aime observer les processus de transformation de la matière pour ensuite les rejouer sur divers supports. Je propose des œuvres vivantes, où la matière ne s’est pas figée. Selon la lumière, le taux d’humidité, le temps, elles peuvent évoluer, s’oxyder, changer de couleurs. J’invite volontiers le fortuit dans mon travail, car je ne veux pas que tout soit acquis ou maîtrisé. Dans mon atelier, j’écoute, j’observe, et je parle à mes œuvres... Et je ne suis pas folle ! Mais, il y a un échange entre elles et moi. Lorsque je travaille avec des métaux, je vais rechercher la déréalisation de leur robustesse. Ça m’intéresse qu’ils soient dématérialisés, de trouver des propriétés nouvelles comme la couleur et la faire évoluer dans l’œuvre. Il y a quelque chose d’assez organique dans ma recherche !

Quel a été votre parcours ?

AC : Aujourd’hui, je partage mon temps entre l’art et l’enseignement. Je suis sortie des beaux-arts de Dijon en 2012. Je me sentais jeune pour assumer une carrière artistique. Les aspects théoriques me manquaient, je recherchais ma famille de pensée. Aussi ai-je fait le choix de continuer mes études en philosophie puis en recherche esthétique. Ce parcours pratique et théorique m’a permis de me construire et de me revendiquer d’une pensée et d’une pratique. Je partage formellement et pratiquement beaucoup de choses de « l’Arte povera » (ndlr : l’art pauvre – un mouvement italien des années 60). Je suis dans un travail brut, dénudé, sans saturation pour offrir un temps où l’on respire.


Qu’allez-vous proposer dans cette exposition ?

AC : J’ai eu une année pour la travailler. Elle est passée par quatre titres, j’ai été prise par 50 envies... Finalement, un an, c’est génial ! Je me suis entourée de belles personnes pour réaliser cette exposition. Stéphane Pelletier, maître verrier, avec qui j’ai collaboré sur les pièces en verre, mais aussi Matthieu Jacquet, jeune critique d’art, qui a écrit le texte de l’exposition. Mon idée a été de questionner la peinture à travers la sculpture ; je ne vais pas tellement utiliser les murs de la galerie, mais plutôt jouer avec la lumière des baies vitrées pour proposer une déambulation entre les tissus suspendus peints qui vont créer le cheminement. « A force égale* » est composé de pièces réalisées sur mesure. Je voulais qu’il y ait du verre, que ça respire, et jouer avec l’intérieur et l’extérieur, l’intime et l’ex-time. Certaines pièces posées à l’intérieur ne se découvriront que de l’extérieur. J’aime que le spectateur (enfants, adultes) se pose des questions où les réponses ne viennent pas forcément tout de suite... J’essaie sans cesse de créer une autre temporalité qui se rapprocherait d’un état de suspens où l’ennui mélangé à une certaine paresse serait les maîtres mots ; comme en réaction au temps que nous vivons, celui que le capitalisme nous impose.

* titre définitif de l’exposition emprunté à Yves Tanguy, grand peintre français surréaliste


Par Virginie Riccio-Morin. 2019


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