texte. sans titre E.Jouai

Alexia Chevrollier est une historienne de l’insignifiant, du déjà oublié, du geste en voie d’extinction. Elle étudie et retrace le poids de gouttes d’eau sur le papier à cigarette ou examine encore les rouages d’un mécanisme d’horlogerie s’emboîtant sans logique. Lorsqu’elle s’intéresse au four à charbon, c’est autant pour ce qu’il cuit que pour les réactions périphériques qu’il produit, pour la lueur des braises naissant à sa surface. Son travail exalte de petits procédés dérisoires; il révèle les transformations subalternes de la matière à nos yeux.

 

Si seul compte dans son œuvre l’effet du geste sur la matière, jamais pourtant la main de l’artiste n’apparaît face à nous. À la représentation classique où seule une figure de pouvoir total pouvait se manifester, Alexia Chevrollier substitue l’universalité de celui qui regarde, de celle dont le geste créateur est à peine identifié, s’adressant à ceux qui restaient cruellement absents des œuvres des anciens. Elle signe toutes les genèses de ses projets, mais ne craint pas d’en confier la maîtrise d’œuvre à d’autres agents. Il y a la rencontre de deux matières – mélange imprévisible pour un discours nouveau –, il y a le temps – vieil ami qu’elle aime inviter quand elle expose –, il y a la machine – cet automate qui défie celui qui l’a pourtant créé – et, bien sûr, il y a l’artisan.


L’artisan occupe une place à part dans la pratique d’Alexia Chevrollier, l’obligeant à requalifier sa place de créatrice, à apprendre un nouveau langage. L’artiste s’immerge, observe, constitue des archives. Elle s’imprègne de ses codes, écoute ses consignes, appréhende de l’essentiel afin d’évoquer avec lui le détail: les craquements du bois, le souffle du verre, l’éclat de l’émail. Sans interprète, sans intermédiaire, le savoir-faire fait partie de sa création si bien que celle-ci intègre ce qui est inacceptable pour l’artisan: l’instabilité de la matière.

En collaborant avec l’artisan, Alexia Chevrollier acte le fait qu’ils partagent tous deux le même plan d’immanence et que c’est sur cette surface commune qu’il faut agir pour marquer le monde. Elle signifie aussi qu’il ne faut rien attendre de la transcendance des époques passées et des réactions récentes, si ce n’est l’illusion d’une vérité imposée d’en haut. L’interaction invisible entre l’artisan et l’artiste permet de reconnaître qu’il n’y a qu’un monde que les profanes parcourent et qu’ils peuvent le parcourir ensemble, avec tout la considération mutuelle que suppose une telle décision. Et c’est sans doute ce chemin qui passionne Alexia Chevrollier: le processus de création, d’altération voire de destruction de l’œuvre bien plus qu’un quelconque résultat, la mécanique humaine et inaliénable des rituels de ses complices et l’événement d’un contretemps imposé au rythme effréné du monde postindustriel.

 


Emmanuel Jouai. 2017

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